WILLIAM ROSS : «Je m’inquiète de la censure des artistes à Maurice»

WILLIAM ROSS : «Je m’inquiète de la censure des artistes à Maurice»
Ce jeune clarinettiste de 32 ans, qui considère la femme comme un chef-d’oeuvre musical, signe la bande son de The Blue Penny, sorti en salle le 23 mars. On l’a rencontré et ses mots résonnent à la ronde.

Ça fait quoi d’être associé à The Blue Penny puisque vous avez composé la musique de ce film tant attendu ?

C’est un honneur que le réalisateur Jon Rabaud m’a fait. Et je suis fier d’avoir contribué à ce beau projet, qui vise à promouvoir le cinéma mauricien et à souligner l’importance de l’industrie culturelle et créative. The Blue Penny m’a permis de fusionner deux de mes projets phares, notamment le Moris Orkestra et le groupe Cholo. Le premier a enregistré la bande originale sous la direction de Sébastien Taillard. Le groupe a, lui, travaillé sur les ségas et la chanson du film, dont le texte est signé Daniella Bastien. Je n’aurais pu le faire sans l’aide de mes fidèles compères Simon Barbanneau, Étienne Brousse, Mathieu Michel et Coline Genet qui m’ont beaucoup apporté au niveau de l’écriture.

Qu’est-ce qui vous a inspiré lors du processus de création ?

Énormément de choses ! Avec Étienne et Mathieu, j’ai commencé à composer en 2020 lorsque j’ai reçu le scénario. On a commencé par les ‘ségas mariaz’ en s’inspirant du patrimoine musical mauricien, notamment le séga de salon et le séga ‘kordéon’ rodriguais. Cela m’a donné envie d’utiliser l’accordéon diatonique. Le jeu de guitare de Marclaine Antoine a, lui, inspiré le jeu de notre guitariste, entre autres.

Vous êtes clarinettiste de formation. Pourquoi la clarinette ?

J’ai toujours aimé sa sonorité et sa polyvalence, car elle se prête aussi bien au classique qu’au jazz, Klezmer, choro, séga et à la musique contemporaine. C’est aussi parce que c’est l’instrument à vent qui possède la plus grande tessiture avec bien plus de trois octaves et qu’il est aussi capable de sortir des sons pianississimo quasiment inaudibles tout comme des fortississimo perçants. C’était, dit-on, l’instrument préféré de Mozart.

La musique serait intergénérationnelle. Peut-elle être une ‘arme’ de revendication sociale et porteuse de changements en cette période de remous ?

La musique a pour vocation de porter des messages et de toucher les âmes, d’autant qu’elle peut être diffusée à grande échelle. Mais ce qui m’inquiète aujourd’hui à Maurice, c’est la censure des artistes ou encore l’interdiction d’organiser des concerts sous prétexte religieux ou politique.

Ce qui nous amène à Moris Orkestra, présenté à sa création comme ‘un projet pédagogique et social’. Six ans après, pouvezvous dire que l’objectif est atteint ?

Six ans après, je peux dire qu’on commence tout juste ! Moris Orkestra est d’abord une association que j’ai fondée avec Martine Durand, directrice adjointe au Conservatoire du Mans. L’Association est basée en France. Depuis le début des échanges culturels franco-mauriciens, elle sollicite les compétences artistiques et pédagogiques de musiciens français reconnus au profit des musiciens professionnels et amateurs mauriciens. La démarche est ambitieuse et je sais que Maurice n’est pas prête pour ce genre de projet mais mon âme artistique, ma passion pour la musique et mon obstination me poussent à y croire et à aller de l’avant.

On ne peut toutefois s’empêcher de penser que la musique classique est élitiste et donc, de douter de l’impact pédagogique et social recherché...

Les études sur le sujet, notamment la musique et l’apport des neurosciences cognitives, prouvent le contraire. Et puis il suffit de voir ce qui se fait dans d’autres pays pour être convaincu.e de son impact.

De manière plus personnelle, quelle est la place de la musique dans votre vie ?

C’est mon gagne-pain. La France me permet cela car les artistes y ont un statut. Ils ont des aides, des droits, des syndicats, un cadre juridique... choses qui n’existent pas encore à Maurice ou très peu. D’où la difficulté des artistes mauriciens à vivre convenablement de leur art ou à avoir droit à une retraite digne.

Quels sont les artistes qui alimentent votre réflexion artistique ?
Edouard Glissant, Edouard Maunick, Malcolm de Chazal ou encore Firoz Ghanty.

Un projet qui vous tient à coeur en 2023 ?

Il y en a deux : la première Académie de Musique de l’association Moris Orkestra qui se tiendra du 24 au 30 avril et le premier concert du Moris Orkestra à Maurice.

Pour terminer, ça fait quoi de porter le même nom que le prolifique compositeur de musique de films et directeur musical américain William Ross ?

C’est vrai que mon homonyme me fait beaucoup d’ombre ! Mais je dois avouer que je suis un très grand fan.


Son parcours EN BREF

William Ross débute son apprentissage de la musique très jeune au Conservatoire National de Musique à Maurice. En 2011, il s’envole pour la France où il entame des études à l’Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique. Parallèlement, il suit une formation de clarinettiste au Conservatoire du Mans, puis à ceux de Boulogne- Billancourt et de Saint-Maur. À la clé, un diplôme d’études musicales et le Prix d’honneur de la ville du Mans en 2016. Il fonde ensuite Moris Orkestra. Et deux ans plus tard, il intègre le Pôle d’Enseignement Supérieur Spectacle Vivant Bretagne où il obtient son DNSPM des Musiques Classiques à Contemporaines et sa licence de Musicologie de l’université de Rennes 2 suivi d’un double diplôme d’État de professeur en Musiques des répertoires classiques à contemporaines et musiques traditionnelles.


Et si…

Vous pouviez voyager dans l’histoire de la musique…

J’aimerais rencontrer le Chevalier de Saint-George, fils d’esclave et compositeur du 20e siècle surnommé le Mozart Noir. Ou des femmes compositrices comme Clara Schumann ou Fanny Mendelssohn.

Vous deviez choisir un autre domaine artistique que l’univers musical...

La danse.Durant mes études, j’ai eu la chance d’être initié à cet art aux côtés de danseurs. Cela dit, je suis un piètre danseur, qui aime les spectacles de danse.

Vous étiez un instrument de musique... Je serais un violoncelle, mais j’ai du mal à me concevoir en tant qu’objet.

La femme était une note de musique... Elle serait plus qu’une note. Elle serait même plus qu’un accord. Elle serait une partition complexe avec de grands contrastes, des changements de tempi, des modulations, des nuances allant pianissimo à fortissimo, des accents, des consonances, des dissonances. Elle serait une musique contemporaine. Elle serait un chef-d’oeuvre musical !

Vous deviez composer une musique pour la femme de vos rêves… Je l’intitulerais Lauréline, le prénom de ma compagne.


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