Covid-19 ] Journal d’une Mauricienne confinée, J-18

Covid-19 ] Journal d’une Mauricienne confinée, J-18
Alors que les aiguilles de l’horloge tournent en boucle, arrêtons de compter les jours qui nous séparent d’un retour à la vie «normale» car plus rien ne sera normal après ça !

Cette nuit, j’ai rêvé que je faisais partie d’une escouade secrète un peu à la manière de la ligue des justicières. L’ennemi à abattre était impitoyable, invisible et vicieux. J’étais parée au combat, déterminée, pugnace. Mon imaginaire, nourri des aventures de Fantômette depuis que je suis enfant ainsi que d’une pléthore de polars et de séries télé, n’a aucun mal à lâcher prise. Dans la vraie vie, c’est moins sûr.

Aujourd’hui, le fils de l’une de mes meilleures amies fête ses 4 ans. Il a du mal à comprendre pourquoi un microbe qu’on ne peut pas voir le prive de sa horde de taties avec leurs sourires gagas et leurs bras chargés de cadeaux. On a beau essayé de lui expliquer que c’est temporaire mais chaque jour, il demande s’il doit encore faire l’école depuis la maison. Et chaque jour, sa déception est grande.

Une autre amie qui a mis au monde une merveilleuse petite alouette en février dernier n’arrive pas à se résoudre à l’idée que sa fille est privée de son vaccin. Et ce, parce que son pédiatre et tous ceux qu’elle a contactés ne reprendront pas du service avant la fin de ce cauchemar. Et quelque part à Roches-Brunes, une autre amie, qui doit techniquement accoucher le 10 avril, broie du noir. Elle ignore dans quelles conditions son bébé viendra au monde. Voilà le topo.

Je suis née à Curepipe. Combien sommes-nous à savoir que la gare Jan Palach (effacée depuis peu pour faire de la place au métro) a été ainsi nommée pour rendre hommage à cet étudiant tchèque qui s’est immolé pour alerter la conscience du monde ? Des révoltes peuplent l’histoire de l’Humanité. Et la plus belle d’entre elles est celle de l’humain contre l’absurde de sa condition.

Depuis décembre, on entend parler du Coronavirus et nous avons tous minimisé son impact. Moi, la première. J’ai entrepris un voyage début mars sans m’inquiéter. Il a fallu les masques des préposés à l’aéroport pour que je sente poindre une légère angoisse que j’ai tôt fait d’envoyer valser.

Dans les rayons des supermarchés où j’aimais flâner, les regards sont hagards. Les masques ne cachent pas l’inquiétude grandissante. Ce qui est en cause ici me disait une autre amie, c’est le modèle social tel que nous l’avons voulu. Cette course folle pour le plus, ces vies effrénées que nous avons menées jusqu’à ce jour fatidique du 20 mars.

Depuis nous avons été contraintes de lever le pied. Nous avons renoué avec nos parents, multiplié les ‘video calls’ avec nos êtres chers. Subitement la distance géographique n’était plus un problème alors qu’on rechignait pour aller voir cette amie qui nous manque et qui habite Tamarin, à l’autre bout du… monde. On se parle enfin ! Et on redécouvre à quel point les petites mains invisibles hier sont vitales aujourd’hui pour nous permettre de nous nourrir et de rester en vie.

Le Coronavirus a aboli les distances, les barrières, les frontières et nous permet de voir à quel point il est nécessaire de respecter les droits et la dignité de chaque individu. L’humain est à nouveau au cœur de nos préoccupations et de nos priorités. Le monde n’est plus divisé en États. Nous faisons désormais partie d’un même monde, d’une seule entité qui doit vaincre un ennemi commun. On parle déjà du jour d’après et de ce monde à réinventer. Ce qui nous arrive est une leçon.

Chacune d’entre nous est en train de construire son arrière-monde, un paradis terrestre ou céleste auquel elle s’efforce de croire pour se consoler de ce qui nous arrive. Nietzche ajoutait que l’on devait se consoler de «sa condition infecte.» Seules les vraies optimistes sont capables de ne pas s’agiter. Comme je les envie !

Au fur et à mesure que passent les jours, le temps ne perd-t-il pas de sa consistance ? Ne sommes-nous pas incapables de dire si le temps s’écoule plus vite ou plus lentement ? Hier soir, ma moitié me disait sur un ton badin : «Et si demain on restait à la maison ?» Nous avons ri joyeusement et cela nous a fait un bien fou.

André Gide dit que le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis. Sans eux, «c’en est fait de notre civilisation, de notre culture, de ce que nous aimions et qui donnait à notre présence sur terre une justification secrète.»

Ensemble, redevenons le sel de la terre. Cette crise sanitaire est aussi une crise de l’humanité. Redevenons des homo sapiens qui se soucient de l’Autre, de tous les Autres. Remettons-nous en mouvement parce que celles et ceux qui ne se bougent pas, ne voient pas passer le temps.


LSL-logo