Verena Aurelle | Vivre malgré la cécité

Verena Aurelle | Vivre malgré la cécité
À 18 ans, on lui découvre une rétinite pigmentaire. À 28 ans, la jeune femme perd la vue. Elle se raconte à 54 ans. Et son message déborde d’espoir.

«Tu es feignante. Cesse de faire semblant et j’en passe. Autant de piques acerbes entendues… Je m’appelle Verena Aurelle. J’ai 54 ans. Je vis à Maurice, mais je suis née à Parpan, dans un petit village niché au creux d’une montagne suisse. C’est là que j’ai grandi, baignée dans l’insouciance de l’enfance. Tout au moins jusqu’à ce que ma vision commence à me jouer des tours. J’ai alors 9 ans.

Mon adolescence… Une période compliquée. Je peine à me concentrer en classe. J’ai des problèmes de vue malgré le port de lunettes. Je ne comprends pas.

J’ai 18 ans. Le diagnostique tombe. Je souffre d’une rétinite pigmentaire. Je vais perdre graduellement la vue. C’est dur à accepter. Je ressens une profonde déception, un sentiment d’échec. Mon rêve d’intégrer une école d’art s’envole à jamais.

Toutes ces tâches autrefois simples me sont diffi ciles. Lire, prendre des notes, suivre les leçons relèvent d’un permanent défi . Je commence par perdre la vue centrale. J’ai l’impression d’avoir comme des taches sur ma rétine. Je vois le monde comme un puzzle avec des pièces manquantes. Il y a des moments où j’arrive à voir, d’autres pas. C’est très étrange. Les détails s’estompent. Les couleurs s’affadissent. La clarté se dissipe. Inexorablement. Pour céder graduellement à l’obscurité totale.

1997. J’ai 28 ans. Une année charnière. Je fais la connaissance de Patrick, mon époux, à Maurice. D’origine française, il est commandant de bord. Je le distingue à peine lorsqu’on se rencontre. Mis au courant de mon état, il me lance en rigolant : ‘Tant que tu ne seras pas un poids lourd…’ Son naturel et son franc-parler me plaisent. Je ne veux pas être dorlotée ou de la pitié. La même année, je tombe enceinte et je perds la vue.

J’apprends à m’adapter à cette nouvelle réalité sans lumière, sans visages, sans paysages, sans... J’ai dû arrêter ma scolarité ; faute de structures adéquates, je n’ai pu passer mon Bac. Tout comme il m’était impossible de m’inscrire dans une école spécialisée car il n’en existait pas dans ma région. À la place, j’ai suivi une formation pour me spécialiser en massage médical pour me préparer à affronter les aléas de la vie. J’étais aussi très rebelle et émotionnellement instable. Les gens ne me comprenaient pas. J’ai repoussé les limites dans tous les sens.

Au contact de Patrick, qui est intellectuel et littéraire, je m’enrichis. Il se révèle une vraie source de connaissances. La rétinite pigmentaire m’a volé une partie précieuse de ma vie, notamment de voir le visage de mes enfants. J’ai dû compter sur mes autres sens et m’efforcer de graver chaque moment dans ma mémoire.

Ma cécité a aussi inversé les rôles traditionnels au sein de ma famille. Cela a été une épreuve, mais une épreuve enrichissante pour nous tous. À chaque fois qu’ils m’ont guidé dans la rue, leurs petites mains tenant les miennes, j’ai été remplie d’une fierté indescriptible. Ils ont appris à assumer des responsabilités jeunes car Patrick étant souvent en vol, je me retrouvais seule avec eux.

Bien que je n’aie pu les voir grandir physiquement, je suis témoin de leur croissance émotionnelle et intellectuelle. Ils continuent d’être mes guides, mon soutien et mes plus grandes inspirations .Aujourd’hui, Morgane, 25 ans, vit à Monaco et travaille pour une société de bijoux haut de gamme. Romain, 22 ans, vit, lui, en Suisse où il est en année de préparation en informatique.

J’ai 54 ans. Je vis dans l’opacité, mais je ressens le monde d’une manière profonde et intense. La cécité n’a pas diminué ma capacité à apprécier la beauté qui m’entoure. Je n’aime pas déclarer forfait. J’aime mon indépendance même si j’ai besoin parfois d’aide… C’est une question de liberté… Les moments les plus durs c’est quand je me blesse. Et c’est fréquent.

La cécité m’a enseigné la valeur de la résilience, la beauté de l’âme et l’importance de ne pas juger les autres sur leur apparence extérieure. Elle m’a amené à découvrir cette lumière intérieure, qui brille en chacun de nous, indépendamment de notre aspect physique. J’ai beaucoup de gratitude pour les personnes qui m’ont aidée durant mon parcours.

L’opacité aurait pu éteindre la lumière de mes ambitions. Au lieu de cela, elle a allumé un feu ardent de détermination au plus profond de mon être. Je refuse d’être défi nie par ma cécité. J’ai fait du bénévolat. J’ai dispensé des cours de massage au collège du BPS pendant huit ans. Je me suis mise au service des non-voyants, notamment en les aidant à maîtriser le lecteur braille. La musique est devenue ma boussole dans un monde sans images. J’ai appris à jouer de la guitare et à chanter, créant ainsi un espace où je peux m’exprimer librement, où mes émotions trouvent leur voie et où mon âme trouve sa liberté.

Actuellement j’écris… J’ai tellement d’anecdotes à raconter. Je fais aussi ma formation de technicienne de son à distance. J’ai confi ance en la vie… La persévérance m’anime. Et quand j’ai une idée en tête, j’essaie d’aller jusqu’au bout de celle-ci. Non, la cécité ne me définit pas. Elle fait partie intégrante de mon parcours.»


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