VARSHA NARAN : «C’est après avoir survécu au cancer du sein que je me suis sentie le plus seule»

VARSHA NARAN : «C’est après avoir survécu au cancer du sein que je me suis sentie le plus seule»
À 24 ans, on lui diagnostique un cancer du sein. Dix ans plus tard, elle fait une rechute. Mais loin de baisser les bras, elle se bat. Celle qui ne pensait pas vivre au-delà de 40 ans est une entrepreneure spécialisée en coaching. En marge d’Octobre Rose, elle se livre sans langue de bois.

Vous avez 24 ans. Le diagnostic tombe : vous souffrez d’un cancer du sein. Dix ans plus tard, rebelote. Comment vivez-vous cela ?

La première fois, j’avais l’impression d’être comme Alice au Pays des Merveilles, qui descend dans le terrier de lapin sans fin. La rechute m’est littéralement tombée sur la tête. Je me souviens de m’être affalée sur un trottoir de Johannesburg avec mon époux que j’avais rencontré alors que je subissais une chirurgie reconstructrice mammaire. On tentait d’assimiler cette nouvelle. J’essayais de déterminer si je voulais revivre ce calvaire. Puis mon mari m’a tenu la main et m’a dit qu’on y arrivera. C’est tout ce dont j’avais besoin ! C’était rassurant de savoir que je ne serai pas seule.

Il y a aussi l’instinct de survie…

Oui, mais mon choix de lutter de nouveau était motivé par une autre raison puissante. Entre mon premier diagnostic et ma rechute, il y a eu la naissance de mon fils. Je voulais vivre pour le voir grandir, jouer de la musique, s’épanouir. Je voulais être présente à chaque étape de sa vie, qu’il s’agisse de son entrée à l’université, de ses moments de joie ou de peine. Je voulais être là lorsqu’il ferait la découverte de l’amour. Mon fils était devenu ma raison pour survivre et cela a donné un sens profond à ma lutte.

Vous aviez lancé une ONG visant à aider les femmes souffrant de cancer du sein. Que s’est-il passé ?

Écoutez, j’ai eu la chance d’être soutenue par une équipe médicale formidable pendant ma maladie et de rejoindre un groupe de soutien composé d’autres patientes et de survivantes. Ces deux éléments ont été essentiels à la normalisation de ce que je vivais. Inspirée par cela, j’ai créé une ONG mauricienne, avec des amis, pour offrir des ‘makeovers’ aux patientes afin de les aider à retrouver confiance en elles après le traitement. Mais nous avons dû fermer l’ONG après environ un an.

Du coup, vous vous tournez vers le coaching et le consulting…

Exactement ! Pendant la majeure partie de ma vie, j’ai travaillé dans les ressources humaines. Suite à ma rechute, j’ai senti que c’était le moment ou jamais de faire ce dont j’ai toujours rêvé, du coaching. Vu mon vécu, j’étais convaincue que j’aurais un plus grand impact sur les gens. Ajouté à une base solide en matière de développement en entreprise et de leadership, je pouvais apporter une valeur ajoutée dans ce domaine. C’est ainsi qu’est née Lumière Coaching & Consulting.

Le dépistage du cancer du sein est encore tabou. Pourquoi selon-vous ?

Parler du cancer du sein, c’est parler de ce que signifie d’être femme. Nos seins ne sont pas seulement une partie de notre corps ; ils sont intimement liés à notre identité. Ils nourrissent nos enfants et sont considérés comme un symbole de féminité. C’est pourquoi la perspective du dépistage, du diagnostic ou du traitement du cancer du sein, qui peut inclure la chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie, peut paraître effrayante. Mais être une femme, c’est bien plus que notre apparence physique, que nos seins. Il y a des couches profondes de notre identité qui vont bien au-delà de ce que nous pouvons voir en surface.

Quelle est l’importance d’une bonne santé émotionnelle face à cette maladie ?

Lorsqu’on vous diagnostique un cancer du sein, vous êtes prise en charge par divers spécialistes et développez des liens avec les infirmières, notamment lors des séances de chimiothérapie. Sur le plan médical, vous recevez donc les soins voulus. Or, tout ce qui touche à votre bien-être mental et émotionnel est souvent négligé, de même que l’impact que cela peut avoir sur votre famille et votre travail alors que cette dimension est essentielle. La reprise du traitement provoque toute une série d’émotions, notamment la tristesse, la colère, le désespoir, la solitude, la culpabilité… Il est primordial d’apprendre à reconnaître et à accepter ces émotions car parallèlement aux soins médicaux, une guérison plus profonde est nécessaire.

Qu’avez-vous éprouvé après votre traitement et quels conseils pourriez-vous donner aux autres femmes, qui ont survécu comme vous ?

Il n’existe pas de manuel pour cela. Paradoxalement, c’est après avoir survécu au cancer du sein que je me suis sentie le plus seule. L’équipe médicale avait disparu. Les personnes que vous voyiez tous les jours ne sont plus là. Vos amis se disent ‘elle va bien maintenant’ et ils se font rares. Vous reprenez le travail, vous redevenez une fille, une mère, une sœur et tout le monde dans votre réseau s’attend à ce que vous redeveniez ce que vous étiez. Or, vous n’êtes plus la même personne. Quand on fait face à la mort, cela vous change. À ce stade, vous ne savez plus qui vous êtes. Il y a donc une déconnexion entre votre ancien et votre nouveau moi à laquelle se mêle un sentiment d’euphorie et de culpabilité.

À celles qui ont la chance d’avoir une deuxième chance dans la vie, je leur dirai donc tout simplement de la saisir. Cherchez de l’aide, acceptez votre vulnérabilité aussi. Il est permis de pleurer son ancien moi et de se réjouir de la personne que l’on est devenue. Faites en sorte que cette seule et précieuse vie compte.

Qu’auriez-vous voulu dire à votre moi âgée de 24 ans ?

Déjà, il faut savoir que je pensais que je n’atteindrais pas mes 40 ans. Maintenant que c’est le cas, je suis reconnaissante pour chaque année qui passe… J’imagine que je l’aurais incité à faire des choix très différents, à prendre plus de risques, à se faire plus de câlins, à voyager davantage, à voir plus de beauté dans la vie quotidienne, à s’attarder plus longtemps devant une belle oeuvre d’art.

Je lui dirais d’être plus présente, de se montrer davantage, de se pardonner davantage aussi, de se souvenir qu’elle est désirée, aimée, qu’elle mérite toutes les merveilles que le monde a à offrir. Je l’encouragerais à s’aimer comme un parent aime son enfant : pleinement, sans réserve, sans condition. Imaginez vivre chaque instant de cette manière… Imaginez à quel point la vie serait belle...


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