HARCÈLEMENT DE RUE : UN DÉLIT PASSÉ SOUS SILENCE

HARCÈLEMENT DE RUE : UN DÉLIT PASSÉ SOUS SILENCE
Sifflements, insultes, interpellations humiliantes, attouchements furtifs… Les victimes de harcèlement de rue se ramassent à la pelle. Pourtant ce mal n’est pas défini dans les textes de loi. Tour d’horizon sur fond de la Journée internationale des droits des femmes.

Victime et témoin. Sheryl Smith, influenceuse, comédienne et créatrice de contenu, l’a été. C’est d’ailleurs le lot quotidien de nombreuses femmes dans l’espace public. Sheryl en fait les frais pour la première fois à l’âge de 13 ans. «J’étais super pudique et pour une fois que j’ai décidé de porter un short, j’ai eu droit à des commentaires désobligeants», se souvient-elle.
Plus tard, la jeune femme est témoin d’un cas de harcèlement de rue. Énervée, mais tétanisée, elle n’agit pas. «Tout le monde n’a pas une formation en self-défense et personne ne détient un mode d’emploi quant aux actions à entreprendre face à une telle situation. Je comprends celles et ceux qui veulent se protéger.» Sheryl précise que la tenue vestimentaire ne justifie pas le harcèlement. Elle ajoute : «Peu importe ta tenue, du moment que tu es une femme, on aura des choses à redire et tu te fais harceler !»
Paradoxalement, les plaintes ayant trait au harcèlement de rue sont inexistantes selon le Police Press Office. Pourtant les témoignages pullulent sur les réseaux sociaux. Il n’y a qu’à faire un tour sur la page Instagram #Metoomauritius. Selon Prisheela Motee, présidente de l’association Raise Brave Girls, la question à se poser est comment prouver les faits. Elle qualifie le harcèlement de rue d’«épidémie silencieuse» qu’on balaye d’un revers de main à Maurice. «Notre société patriarcale incite les femmes à garder le silence par dignité.» Que faire alors ? «L’utilisation des caméras CCTV serait un bon début pour traquer et protéger.» Outre des lois, elle précise qu’il faut miser sur des campagnes de sensibilisation.
Pooja Luchmun Maulloo, avocate, souligne que la discussion sur la pénalisation du harcèlement de rue a été abordée à quelques reprises à Maurice suite à des mouvements féministes globaux. Mais sans plus. Le harcèlement de rue punissable aux USA et en France ne l’est pas chez nous. «Nos lois pénalisent le harcèlement sexuel qui inclut les gestes ou comportements importuns verbaux, physiques et en écrit. Or, ces lois ne s’appliquent qu’aux actes survenant dans un environnement de travail, de prestation de services ou dans des établissements d’enseignement.»
L’avocate explique que si une victime décide de rapporter un cas aux autorités, ce sera à la police d’évaluer la situation et de voir s’il y a de quoi constituer une offense punissable par la loi actuelle en se basant sur les faits et les preuves à sa disposition. En l’absence d’obligation légale d’intervenir, quid de la responsabilité morale ? «Le harcèlement de rue porte atteinte à la dignité et au respect de l’individu. La victime se sent inconfortable, en danger dans un lieu public. C’est une conduite méprisable qu’il serait temps de punir !»
Ce n’est pas la comédienne et actrice Neeshi Beeharry, victime et témoin également, qui dira le contraire. Très jeune, un inconnu lui écrase son mégot de cigarette sur le bras gauche en plein Rose-Hill. Une autre fois, elle est accostée par un homme en rentrant du collège, qui lui balance deux phrases obscènes à quelques pas de son domicile. «Et quand j’avais 4 ans, une soi-disant personne de confiance m’a agressée. Je portais une robe ce jour-là…», se remémore-t-elle.
Elle maintient que sa «tenue d’enfant ou [son] uniforme de collégienne ne justifiait pas leurs propos ou actions». Et d’ajouter : «La majorité des pervers ne sont pas mauriciens, mais la majorité des Mauriciens sont pervers. Il faut arrêter de trouver toute sorte de prétexte pour justifier leur comportement sadique.»
«On essaie de comprendre ce qui cloche chez les harceleurs de rue. Je suis choquée, en colère, mal à l’aise… Je vois souvent des jeunes filles et des femmes se faire harceler verbalement en public. Puis il y a les collégiens qui harcèlent leurs pairs.» Selon elle, les hommes peuvent aussi être victimes. Et ne pas réagir au harcèlement de rue peut être, estime-t-elle, assimiler à de la non-assistance à personne en danger. «Beaucoup craignent de s’élever contre le harceleur par peur de représailles. Mais ne pas agir et le laisser faire impunément sont des preuves de faiblesse, d’égoïsme et de lâcheté.»
Mais qu’en pensent les hommes ? Hansley Rambhojun, influenceur, indique que le harcèlement touche tout le monde et reste inacceptable. «Je n’hésiterais pas à intervenir et à défendre une victime car ne pas intervenir nous rend complice.» Il concède que la tenue joue parfois un rôle mais poursuit-il, «les femmes sont libres de s’habiller comme elles le souhaitent et c’est à l’homme de maîtriser ses pulsions. C’est ce qui diffère un gentleman d’un pervers. Il faut définitivement une loi pour punir les agresseurs !»

CONSEIL DE PSY AUX VICTIMES
Il est important de leur dire qu’elles ne sont pas responsables, que cela n’est en aucun cas justifié, ni à cause de leur tenue, attitude, condition, lieu ou heure à laquelle elles sont dans la rue. L’association Stop Harcèlement de Rue préconise :
• D’ignorer, si la personne victime ne se sent pas en sécurité.
• De confronter l’auteur calmement et fermement en nommant l’acte commis.
• De réagir avec humour ou sarcasme par exemple en disant : «Je fais une enquête sur ce sujet, vous le faites souvent ?»
• D’interpeller les personnes autour demandant d’agir et d’appeler la police.
• De rassembler des preuves en filmant, collectant des témoignages.
• D’appeler à l’aide au 148, 208.00.34 ou 208.00.35 pour la police. Si la victime est mineur.e, il est possible d’appeler la CDU au 113.
• http://www.stopharcelementderue.org/je-suis-victime/

CONSEIL DE PSY AUX TEMOINS
L’association de lutte contre le harcèlement de rue Hollaback! Propose la méthode des 5D pour encourager les témoins à réagir :
- Distract : interruption de l’agression en attirant l’attention sur autre chose, en feignant un accident, en demandant l’heure, etc.
- Delegate : demande d’aide à une personne tierce.
- Document : rassembler des preuves en filmant ce qui se passe si vous êtes en sécurité.
- Delay : agir auprès de la personne victime, même si vous n’avez pas pu agir sur le moment car vous ne vous sentiez pas en sécurité. Il est possible de s’adresser à la victime, de lui demander comment vous pouvez l’aider, etc.
- Direct : répondre et confronter directement la personne qui harcèle selon la sécurité et dire que l’acte relève du harcèlement, d’arrêter, etc.

Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue* :
« Cela relève du champ des violences et du non-respect des droits »

Comment définir le harcèlement de rue ?
L’association Stop Harcèlement de Rue en France définit le harcèlement de rue par des comportements adressés aux personnes dans l’espace public, visant à les interpeller verbalement ou non, leur envoyant des messages intimidants, insistants et/ou irrespectueux en raison de leur genre, de leur orientation sexuelle, de leur couleur de peau, de leur situation de handicap… Cela relève du champ des violences et du non-respect des droits.
Quelles conséquences sur la vie ?
Sur le plan psychologique, le sentiment de peur prend beaucoup de place. Il peut perdurer et engendrer un état d’hypervigilance. Certaines victimes ressentent parfois la colère et l’impuissance de ne pouvoir agir, de ne pouvoir répondre et se protéger. Stress, manque de confiance et d’estime de soi, sentiment d’insécurité, de vulnérabilité, d’injustice profond peuvent être ressentis. Sur le plan social, crainte et méfiance, limites de l’occupation et de l’utilisation de l’espace public sont observées. La peur ressentie peut influencer la socialisation, limiter les interactions avec les inconnus, restreindre les possibilités de créer du lien social, provoquer l’isolement, le repli sur soi et dans certains cas, la perte d’emploi vu les risques encourus dans la rue pour aller travailler. Le harcèlement de rue renforce les inégalités de genre et sociales, mais aussi des relations de pouvoir entre les genres. Sur le plan de l’impact corporel, certaines victimes tentent de se rendre le moins visible possible, de cacher tout signe visible d’expression de genre, changent leur manière de marcher, baissent les yeux pour éviter de croiser tout regard.
Pourquoi les auteurs agissent-ils ainsi ?
Les facteurs à l’origine du harcèlement sont divers, pouvant être minimisés et perçus comme inoffensifs ou amusants pour certains hommes.
Il faut compter avec :
- Le sentiment de domination et de toute puissance chez l’auteur, qui peut venir de l’éducation, des croyances, de la culture patriarcale, de la transmission erronée qu’un homme est supérieur.
- L’absence de recours aux lois ou de condamnations dans ces multiples situations, qui augmente le sentiment de toute puissance et d’impunité, facilitant les récidives.
- La perception erronée que les personnes victimes sont harcelées à cause de leur tenue, de l’heure à laquelle elles marchent dans la rue, de leur attitude qualifiée de provocante, de leur expression de genre, comme si elles ‘ont cherché’ et ‘méritent’ ce qu’elles subissent, comme si c’est normal ou justifié qu’un être humain subisse de la violence pour une quelconque raison.
- L’environnement physique tel que le manque d’éclairage ou de circulation dans la rue, qui peut impacter sur le droit que s’octroie l’harceleur.
http://www.stopharcelementderue.org/harcelement/


*Mélanie Vigier de Latour-Bérenger est psychosociologue, membre du Kolektif Drwa Zanfan Morisien (KDZM) et Kolektif Drwa Imin (KDI)
 


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