PRÉCARITÉ MENSTRUELLE : Des femmes dans le rouge

PRÉCARITÉ MENSTRUELLE : Des femmes dans le rouge
Ragnagnas, rougets, coquelicots, tomates, ‘matant’, ‘zafer la’… Autant de références imagées pour parler des règles et cacher la gêne, la pudeur. En marge de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle célébrée le 28 mai, des femmes qui n’ont pas accès aux protections hygiéniques témoignent.

Rani* et sa mère Vimla* vivent la précarité menstruelle depuis toujours. Protections hygiéniques, tampons et autre coupelle ou culotte menstruelle ne font pas partie de leur réalité. Encore moins les produits de toilette intime usuels, comme le gel lavant ou le savon doux respectant le pH physiologique du vagin. Depuis qu’elle est en âge d’avoir ses règles, la collégienne de 16 ans utilise un mouchoir plié en deux contenant du papier toilette ou des morceaux de tissu. Sauf que son alternatif aux serviettes hygiéniques n’est pas sans conséquence sur sa paix d’esprit.

« Depuis que ça m’est arrivé une fois, je vis dans la crainte d’une fuite. Je rentrais de l’école. J’étais dans l’autobus et j’ai senti le sang qui coulait. En arrivant à destination, je me suis sauvée », se souvient-elle, embarrassée. Outre la peur d’être prise à partie car elle a sali le siège malgré elle, Rani est tenaillée par la honte. « J’avais envie de pleurer, mais je me suis retenue. »

L’adolescente espère qu’un jour elle pourra s’acheter des serviettes périodiques et du gel intime. « Je ne me suis jamais tournée vers une association, mais j’y pense de plus en plus car il m’arrive de rater les cours à cause de mes règles. » Son souhait ? « Qu’il y ait des distributeurs de serviettes hygiéniques pour les filles qui n’ont pas les moyens. » Car à ce jour, elle vit chaque cycle menstruel, phénomène physiologique pourtant normal et naturel chez la femme, dans la honte.

C’est à Rose-Hill qu’on rencontre la mère de Rani. Vimla, 37 ans, travaille comme marchande ambulante. Postée non loin d’une banque, elle espère vendre quelques babioles aux passants et récolter quelques sous. Non pas pour se procurer des serviettes hygiéniques. Se nourrir et nourrir sa famille prime. C’est comme ça depuis qu’elle a 15 ans. « Mieux vaut se remplir le ventre. Il y a parfois des incidents, mais ça disparaît au lavage. J’ai fini par m’y habituer car nous avons toujours été pauvres. » Parfois, Vimla préfère rester à la maison les premiers jours pour éviter la catastrophe.

Tout comme sa fille, elle utilise un vieux mouchoir rempli de papier toilette ou de chutes de tissu trouvées ça et là. « Les serviettes hygiéniques coûtent et par fierté, mon mari ne nous laissera jamais demander de l’aide aux associations

 

Omerta et isolement 


Selon Mélanie Valère-Cicéron, fondatrice de Passerelle, Rani et Vimla sont loin d’être les seules à faire face à une telle situation. « Le constat est choquant. Nombre de femmes et de filles à Maurice n’ont pas accès aux protections hygiéniques, principalement pour motif économique. La situation s’est d’ailleurs empirée avec la récente flambée des prix. » L’omerta, souligne-t-elle, autour des règles fait que ces femmes se sentent exclues. Elle fait ressortir que cela a malheureusement un impact sur leur santé physique et des répercussions sociales et professionnelles, voire psychologiques. « Ces femmes improvisent, se cachent et surtout, se taisent car c’est un sujet jugé intime qu’elles ne souhaitent pas aborder. » Ainsi, certaines étudiantes s’absentent de l’école alors que d’autres ne se rendent pas au travail. L’isolement étant durant le cycle menstruel la seule et unique solution pour elles faute de moyens. 


Rosemay*, elle, n’a pas de toit sur la tête pour s’isoler. Sa ‘maison’ à elle, c’est la rue. Cette SDF de 34 ans, maman d’une petite fille vivant dans un ‘shelter’, mendie pour vivre. Parler des règles lui est « gênant » et les serviettes hygiéniques, un luxe qu’elle ne peut s’offrir. À la place, Rosemay se rabat sur du tissu ramassé ici et là ou encore un morceau d’éponge. « Je me change généralement dans un coin à l’abri des regards ou j’utilise les toilettes publiques. » Et elle crie sa honte. « Mais ce qui est encore plus honteux, c’est que des femmes vivent des situations pareilles au 21e siècle. » Certes, des associations lui offrent parfois des ‘pads’ et du savon. Mais cela n’atténue pas ses règles douloureuses et son sentiment d’être sale. « Heureusement que je peux dormir dans un abri de nuit. Je m’y sens en sécurité car nous sommes plusieurs dans la même situation et nous nous comprenons. »


Quelles solutions ? 


Face à cette triste réalité du terrain, Mélanie Valère-Cicéron estime qu’il « est temps de mettre à disposition des distributeurs de serviettes hygiéniques dans les établissements scolaires et même dans les toilettes publiques ». Et d’ajouter: « Il est primordial de miser sur des ressources éducatives pour sensibiliser sur les règles et les répercussions liées à la précarité menstruelle. » 
Du côté de l’association Raise Brave Girls, Prisheela Mottee, la présidente, indique avoir déjà soumis des propositions en marge du Budget 2022-2023. Parmi, une proposition d’entrepreneuriat. « Les prisonniers pourraient fabriquer des serviettes hygiéniques. Cela ferait partie d’un programme de réhabilitation sanctionné par un certificat, ce qui les permettrait de trouver du travail à leur sortie de prison. » Ces serviettes, précise-t-elle, seraient distribuées aux femmes et aux filles enregistrées à la Sécurité sociale. 
Selon elle, la menstruation est intrinsèquement liée à la dignité humaine. « En 2020, l’Écosse s’est fixée pour objectif d’être la première nation à fournir des serviettes et des tampons gratuitement. Cette normalisation et ce désir de mettre un terme à la pauvreté menstruelle envoient un signal fort en faveur de l’égalité des sexes. » À bon entendeur… 


*Prénoms modifiés

 

 

DJEMILLAH MOURADE-PEERBUX, présidente du Ripple Association
 « Rs 80 000 de produits d’hygiène équivalent à seulement 150 kits »

 

Pourquoi avoir initié The Ripple Project ? 


Ce projet a démarré comme une initiative citoyenne en 2016. La précarité menstruelle était déjà présente. Et en travaillant avec d’autres ONG, j’ai constaté son étendue. D’où l’appel aux dons et la collecte de produits pour les redistribuer à travers les associations sur le terrain. 


Quel est le but de votre association ? 


Avec le temps, les besoins ont grandi, notamment en terme d’éducation (Menstruel Heath and Hygiene Management), mais aussi et surtout en termes de plaidoyer. C’est dans cette optique que l’action sociale s’est muée en association. L’objectif étant de sensibiliser, à travers des campagnes, à la précarité menstruelle et aux divers aspects entourant l’importance d’une bonne santé menstruelle, d’une éducation précoce, de l’accès aux soins et à l’information. 


Votre constat de la situation actuelle ? 


Elle s’est dégradée avec la Covid. Les besoins sont d’abord alimentaires et cela creuse encore plus les inégalités sociales. On sait que les femmes sont les plus touchées par la pauvreté… La précarité menstruelle l’accentue. Entre celles qui ont perdu leur travail et celles qui subissent des baisses salariales ou qui peinent à trouver un emploi, l’hygiène et la santé menstruelles deviennent secondaires. 


Des solutions pour aider ces femmes ? 


Il faut d’abord une véritable volonté d’investir dans la lutte contre la pauvreté menstruelle. Ripple est la seule association à Maurice qui, à ce jour, œuvre exclusivement en ce sens. Cela demande des fonds et des partenaires engagés. Par exemple, Rs 80 000 de produits d’hygiène équivalent à seulement 150 kits alors que nous devons aider plusieurs centaines de femmes et de filles sur l’année. 
Il faudrait que la mesure budgétaire donnant accès aux serviettes menstruelles aux adolescentes enregistrées au Social Register Mauritius soit étendue gratuitement à toutes les femmes, filles et personnes s’identifiant au sexe féminin. Il faudrait aussi trouver des solutions durables pour redonner l’accès économique à ces femmes vivant dans la précarité.

 

Pour venir en aide à toutes ces femmes en précarité menstruelle :


- Passerelle. Tél. : 54.40.01.50 / 58.82.10.00. Email : passerellewomencentre@gmail.com
- The Ripple Project. Tél. : 58.02.60.89. Email : secretaryrippleassociation@gmail.com
-  Raise Brave Girls. Tél. : 54.96.37.17. Email : prisheela.mottee@gmail.com 

 

 


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